Les lois sociales bismarckiennes : un premier pas vers la protection de l’individu ?
La « main invisible » d’Adam Smith n’ayant pas encore porté ses fruits aux alentours de 1870-1880, il fallait bien s’assurer pour les pays d’Europe les plus avancés une protection juste et équitable de la population. Mais, alors même que la France pâtissait encore de ses multiples révolutions et changements de régime, et que le Royaume-Uni restait fortement marqué par un capitalisme naissant, c’est dans la jeune Allemagne qu’une véritable « révolution » s’opéra, sous la férule du chancelier Otto von Bismarck, principal acteur de la création du pays en 1871.
Les lois sociales furent votées en trois temps : lois sur l’assurance maladie en 1883, lois sur les accidents du travail en 1884, lois instaurant une assurance vieillesse et invalidité en 1889. Autant dire qu’en l’espace de six ans, les bases d’une sécurité sociale étaient posées. Seule ombre au tableau, ces lois ne concernaient pas toute la population, mais seulement ceux qui, selon Bismarck, seraient incapables de se protéger tout seuls, soit par leur statut (ouvrier, paysan, etc.) ou leur richesse. C’est donc reconnaître une certaine autonomie des classes les plus riches, celles-ci n’ayant pas besoin de protection sociale. C’est seulement avec le rapport Beveridge et ses applications multiples en Europe (le « Welfare State ») que toute la population bénéficiera, soixante ans plus tard, d’une couverture sociale satisfaisante.
En réalité, l’affiliation aux assurances sociales était nécessaire au-dessous d’un certain seuil de rémunération. Au-delà, liberté était donnée au salarié. Pour Bismarck en effet, les classes moyennes étaient tout à fait capables de développer un esprit d’épargne et de prévoyance sans que l’Etat n’ait besoin d’intervenir pour les soutenir. Et évidemment, l’importance de leurs revenus suffisait pour qu’ils assurent eux-mêmes leur propre protection. En tout cas, Bismarck, par ces lois, coupait littéralement l’herbe sous le pied du Parti ouvrier socialiste (qui deviendra plus tard le Parti Social-Démocrate, le SPD) récemment crée en 1875. Ces réformes seront ensuite étoffées après 1890 avec par exemple l’obligation d’observer un repos dominical en 1891.
Bismarck a donc jeté les bases d’un système de sécurité sociale tel que l’on peut le trouver aujourd’hui dans bon nombre de pays développés : assurance obligatoire, participations croisées des employeurs et salariés à la bonne gestion des caisses d’assurance, permettant à l’Allemagne d’être le pays au droit social le plus développé en cette fin du XIXe siècle. Les autres grands pays européens (France, Royaume-Uni, Italie) suivront le modèle dès les années 1940 en y apportant l’universalité (le fameux système des « 3U » : Unicité-Universalité-Uniformité).